7e Régiment de Chasseurs

La gaffe !

jeudi 12 décembre 2002 par Capitaine (h) Francis Josse

C’était il y a bien longtemps, vers la fin de l’an 1966. Les locaux de l’Etat-Major du Régiment avaient été dotés de poêles à mazout « Elite » et « Amsta ». Finies les corvées de bois, de charbon et de cendres, oubliés le seau et la pelle. Rendus en magasin les poêles-cloches. C’était vraiment le progrès ! Rançon de la gloire, le Maréchal des Logis Fourrier de l’E.C.S. que j’étais avait, par faveur spéciale, reçu la charge et l’honneur de mettre en œuvre ces matériels de très haute technicité (les A.M.L. fonctionneraient encore à l’essence, pour longtemps !).

Le mercredi 30 novembre 1966 je reçus un ordre laconique de l’Officier Adjoint : « demain matin le Général de ROQUIGNY du FAYEL viendra au Quartier. Vous mettrez en action le chauffage « Amsta » de la grande salle de réunion (au-dessus du Poste de Police) pour 8 heures et resterez à la disposition du Général. Vous éteindrez après son départ ». Marche ! Pas de commentaire superflu. C’était comme ça à l’époque !

Gonflé d’orgueil je mis un point d’honneur à m’acquitter de cette tâche. Le réservoir du poêle était bien rempli, un bidon de secours était en attente, un extincteur à proximité, au cas où ? Je mesurais bien cette marque de confiance. Sur place bien plus tôt que prévu, en tenue de sortie, j’attendis le Général de pied ferme, fébrile mais déterminé. Ca allait chauffer. Prêt !

En tout début de matinée le Brigadier de Garde escorta un « civil » qu’il introduit dans la salle de réunion, et l’y abandonna sans autre forme de procédure. Je pensai qu’il venait, lui aussi, pour le Général et continuai de surveiller attentivement la flamme de mon poêle, sans m’occuper de lui (un « civil » chez nous !).

Le « visiteur » ne s’occupa, il est vrai, pas de moi non plus. Déballant quelques papiers d’une sacoche, il s’installa près d’une fenêtre, s’assit et attendit. Nous nous trouvions chacun à un bout de la salle. Le temps passait, le Général ne venait toujours pas, stoïque je surveillais mon poêle. Il faisait bon.

Après une bonne heure d’attente le « visiteur » qui s’était mis à faire les cent pas (en boitillant un peu) finit par croiser mon regard et mon chemin. Il m’interpella fort courtoisement : « vos camarades n’ont pas été informés de la réunion ? ».

Plein d’à-propos je répondis : « si, Monsieur, mais je crois qu’ils sont en bas, ils attendent le Général ». Il n’y avait personne, ni à côté, ni en bas, il put lui-même le vérifier. Mais de Général, toujours point.

Le « visiteur » revint à moi, et me questionna : « connaissez-vous l’A.G.P.M., êtes vous assuré sur la vie ? ». Ma réponse négative sembla l’intéresser. Comme plusieurs Sous-Officiers du 7ème Régiment de Chasseurs j’avais bien souscrit une police auprès d’un ancien camarade reclassé dans les assurances, mais ce dernier ayant disparu avec la caisse (et nos cotisations) la Compagnie L’Union nous avait spontanément radiés.

Le « visiteur » m’invita fort aimablement à m’asseoir en face de lui et m’expliqua qu’il était le Délégué de l’Association Générale de Prévoyance Militaire, qu’il était de passage dans la région et qu’il se proposait aujourd’hui de présenter l’Association aux cadres du Régiment (mais où étaient-ils ?). Son discours n’était pas mercantile mais bienveillant, je lui prêtai toute mon attention. J’en oubliai le Général.

Après une nouvelle heure de bavardage j’avais signé, convaincu par ses arguments. Nous continuâmes à discuter de choses et d’autres, de son gendre que j’avais connu au 21ème de Spahis (Lieutenant de RUFFRAY).

L’horloge avait tourné, le Général ne viendrait pas, je m’en doutais de plus en plus. Tant pis ! Le « visiteur » ne semblait pas s’inquiéter, non plus. Il devait en avoir l’habitude « dans les assurances », mais je n’osais lui dire. Il proposa gentiment de m’offrir un rafraîchissement au Cercle du Quartier.

Nous traversâmes la cour de la Citadelle pour rejoindre le bar, derrière le Magasin du Corps. Tous les « anciens » étaient là, les « jeunes » aussi d’ailleurs. C’était l’heure sacrée de l’apéritif et de la « kémia ».

Respectueux des usages et traditions de l’Arme je présentai fièrement le « Délégué de l’A.G.P.M. » à mon Président des Sous-Officiers. Les oreilles voisines avaient bien entendu. Les yeux s’écarquillaient, certains même toussaient, s’étranglaient, ce fut la débandade, la fuite par toutes les issues. Une véritable volée de moineaux !

Les plus audacieux bredouillèrent quelques excuses, j’entendis nettement des « mes respects mon Général » puis le bar vide resta à nous deux. C’était lui « le » Général, un homme charmant et spirituel qui s’amusa beaucoup de cet effet de tempête, il me le confia malicieusement. J’en oubliai d’aller éteindre mon poêle qui tomba en panne sèche. J’avais rencontré le Général de ROQUIGNY du FAYEL, un « sacré » baroudeur, paraît-il.

J’eus beaucoup moins l’occasion d’en rire au cours des jours suivants, j’avais osé amener le loup dans la bergerie à l’heure rituelle de l’anisette. J’évitai soigneusement le bar du cercle pendant quelques temps. J’adhère toujours à l’A.G.P.M., mais ne me parlez plus de poêle à mazout.


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