7e Régiment de Chasseurs

Le téléphone en or

jeudi 3 avril 2003 par Sous-lieutenant (h) Francis Galande

Pour bien comprendre cette histoire, il faut se rappeler que, dans les années soixante, sur RTL (radio Luxembourg à l’époque) passait une émission intitulée : " Le téléphone en or ". Ce divertissement, qui passait entre 12h et 13h, consistait à interroger des personnes sur des questions diverses et variées. Et, pour trouver les réponses, les joueurs pouvaient se servir d’un téléphone pour joindre un service ou une personne qui pourrait les aider à trouver les réponses aux questions. Ils avaient droit à un seul coup de fil dans un laps de temps limité.

L’histoire se passe en février 1970, au camp de Mourmelon, pendant les manœuvres régimentaires de notre cher 7e Chasseurs.

Chef comptable au 2e escadron, j’avais, en plus de mes nombreuses tâches (je parle du travail bien sûr !), la mission auprès de l’ordinaire, de commander et de percevoir les repas froids des pelotons qui manœuvraient sur le terrain. Pour améliorer les énergies en calories, il était courant - mais pas facile - de demander, auprès du service chargé de l’alimentation, des vivres frais.

Le responsable du point de restauration pour cette manœuvre était le Chef Noël (pas du tout le genre à faire des cadeaux). Son magasin vivres était un vrai coffre-fort et les meilleurs "tapeurs" s’y étaient cassé les dents.

Il me fallait donc, pour le bien du service, trouver une idée pour que nos valeureux guerriers tiennent le coup.

Celle-ci me vint en regardant bêtement le téléphone du bureau qui ne sonnait jamais. Je me décide alors d’un coup à tourner la manivelle (hé oui ! EE 8, oblige) et sans trop y croire de jouer avec le « père Noël » au "Téléphone en or". Pour ce faire, je déguise ma voix et je prends celle d’une femme :

- Allo ! Le restaurant ?
- Chef Noël à l’appareil, j’écoute.
- Le restaurant ?
- C’est quoi, cette connerie ?
- Allo ! Monsieur, ne coupez pas svp, ici c’est radio Luxembourg pour l’émission radiographique " Le téléphone en or "...
- C’est quoi, vous me prenez pour un c... ? Qui est à l’appareil ?
- Monsieur, je vous assure, nous sommes sur radio Luxembourg pour le jeu "Le téléphone en or". Je dois répondre à une question et il me reste très peu de temps...
- Heu ! ...
- Monsieur svp, aidez-moi !
- Heu ! ...
- Je vous pose la question : combien y a t-il de déchets pour les eaux grasses dans une cantine militaire ?
- Heu ! ...
- Il me reste vingt secondes... Vite monsieur ! svp...
- Heu ! ... 10 % !
- Merci !

Et là-dessus, je raccroche. C’est parti mon quiqui ! Ya plus qu’à attendre, on verra bien !

Le lendemain, sur les coups de midi, j’allais me promener dans les couloirs de l’ordinaire, histoire de sentir un peu l’ambiance (à défaut d’autre chose). Et là ! Que vois-je ? Mon père Noël, enfermé dans son bureau, l’oreille collée au transistor. Je frappe - à la porte -, je rentre et bien sûr, je me fais recevoir comme un chien dans un jeu de quilles.

- Tu veux quoi ? y’en n’a pas et ce n’est pas l’heure...
- T’écoutes le match ?
- Quel match ? fous-moi la paix, ce n’est pas le moment...
- A cette heure-là, c’est le "Téléphone en or"
- Quoi ! "Le téléphone en or", tu connais ?
- Tu parles avec ma femme, tous les jours, on écoute ça, c’est super !
- C’est quoi au juste cette émission ?

Je lui explique les règles de cette émission et en plus, je lui glisse : " je crois d’ailleurs que la personne interrogée au téléphone, en cas de bonne réponse, touche une partie des gains gagnés par le joueur "... Et, pour me remercier de mes explications limpides, il me demande gentiment : « T’as besoin de quelque chose ? » Et là-dessus, je repars avec quelques petites victuailles...

Le lendemain, même heure, même endroit : cette fois, dans le bureau, il y a un peu plus de monde. Les hommes en blanc sont à l’écoute... Je frappe - toujours la porte - et en rentrant, il me dit : " j’me suis toujours pas entendu " et je lui réponds : " Normal ! C’est une émission enregistrée, ça passe pas du jour au lendemain ! ". J’en profite en même temps pour lui demander quelques légumes... Histoire d’entretenir les bonnes relations.

Au bout de trois jours, on ne pouvait plus rentrer dans son bureau. Même le magasinier en titre tendait l’oreille avec les autres. A se demander qui servait la bouffe ! Si bien, qu’en insistant, j’aurais presque pu avoir les clefs du magasin pour faire mes appros... Demain, il faudra que je demande la jeep du capitaine pour charger mes cartons, me dis-je en moi-même...

Mais les secrets à l’armée ne sont pas toujours aussi bien gardés qu’on pourrait le croire ! Si bien qu’un jour, alors que je me trouvais à l’état-major du régiment, le colonel adjoint me tira par ma veste et m’emmena dans son bureau : " Dites-moi, GALANDE, c’est quoi cette histoire de "Téléphone en or" avec l’ordinaire ". La-dessus, je n’avais plus une fois de plus qu’à expliquer... A la fin, le colonel se mit à rire de bon cœur : " Ha, elle est bonne celle-là ". Il me fit asseoir, décrocha son téléphone et j’entendis :

- Noël ? ici, c’est le colonel-adjoint.
- Mes respects mon colonel !
- C’est vous qui avez donné des renseignements concernant les eaux grasses à une station de radio ?
- Ha oui ! mon colonel, c’est moi.
- Mais vous êtes cinglé de dévoiler des secrets militaires aux civils !
- Heu ! ...
- 10 %, mais vous faites passer le régiment pour quoi ? Je vous préviens, si cette émission passe, vous aurez de mes nouvelles...

Là-dessus, il raccroche et me dit " Je crois qu’il va continuer à écouter son transistor, mais surement pas pour les mêmes raisons !".

Pendant le reste des manœuvres, j’ai fréquenté l’ordinaire moins souvent. Sans doute pour éviter les foudres de son responsable. Mais, ironie du sort, c’est moi qui l’ai remplacé dans le poste d’adjoint à l’officier d’ordinaire, quand il a était muté au PAM de juillet de la même année. Et croyez-moi ! Pendant mes fonctions, quand quelqu’un n’était pas bien clair au téléphone, j’avais toujours une petite appréhension.

Mais en réalité, je n’ai jamais su, si ce brave Noël avait appris qui lui avait joué ce mauvais tour ! Peut-être qu’un jour, je lui passerai un coup de fil.


Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Témoignages   ?