
Un Tank-Destroyer M10 du 7e Régiment de Chasseurs d’Afrique dans la citadelle d’Arras le 16 mai 1982
Un Tank-Destroyer du 7ème Chasseurs d’Afrique en 1982 dans la Citadelle d’ARRAS, dites-vous ? Ne faites-vous pas erreur ? : il y a longtemps que ce matériel n’était plus en service dans l’Arme Blindée-Cavalerie française et le 7ème Régiment de Chasseurs d’Afrique était dissout depuis de trop nombreuses années.
Certes, mais je peux vous confirmer, photos à l’appui, que le Régiment de la Marquise a bien été représenté le 16 mai 1982 à la fois par ses anciens et par un exemplaire du char qui l’équipait pendant la campagne de France de la seconde guerre mondiale. La preuve ? Regardez bien le char BIZERTE, portant l’étendard du 7ème RCA sur fond de batiment de l’arsenal de la Citadelle d’ARRAS.
Traditionnellement, l’Amicale du 7ème Chasseurs d’Afrique tenait son assemblée générale annuelle à ARRAS une année sur deux. C’était le cas en 1982. De plus cette année-là correspondait au trente-neuvième anniversaire de la création du Régiment en Algérie. Aussi, fallait-il marquer cette journée d’une façon toute particulière d’autant qu’un ancien, pilote de char TD du régiment, devait être décoré de la Légion d’Honneur par son chef de char de la campagne de 1945. Que pouvait-on faire de particulier pour marquer cette journée ? Le Chef de Corps du 7ème Chasseurs pouvait compter sur l’imagination débordante du Chef d’Escadrons LAUDE, officier supérieur adjoint du Régiment, et à ce titre correspondant efficace et dévoué de l’Amicale.
Ce jour-là était également programmée la remise solennelle de la fourragère au dernier contingent incorporé qui avait été présenté à l’Etendard lors de la fête de la Saint-Georges précédente.
Au cours d’une réunion préparatoire "phosphorante" des officiers de l’Etat-major et du Président des Sous-Officiers, il fut d’abord décidé que la garde à l’Etendard du 7ème Chasseurs d’Afrique, étendard en dépôt au régiment, serait habillée dans la tenue d’époque : blouson de cuir, chemise kaki, cravate, pantalon et béret « vert forestier », guètres US. Ce devait être facile de les emprunter aux anciens de l’Amicale et cette idée ne pouvait que leur plaire. Mais, que faire de plus ?...
Soudain, une nouvelle idée fusa sous forme de regret : "Quel dommage que nous ne puissions avoir un TD comme "pot-de-fleurs" en fond de décor de la prise d’armes pour la remise de décoration !". Le Chef de Corps se souvint alors que le Colonel AUBRY, créateur et directeur du Musée des Blindés à SAUMUR, avait été son premier commandant d’escadron quand il était arrivé en Algérie comme Sous-Lieutenant. Le musée possédait un exemplaire en ordre de marche du TD M10.
Aussitôt dit, aussitôt fait : à l’issue de dures négociations, car le Directeur du Musée veillait sur ses matériels comme sur la prunelle de ses yeux, et avec l’accord de l’EAABC, le prêt était accordé à la condition que le Régiment prenne à sa charge le transport, le pilotage et la réparation de toute dégradation qui pourrait survenir.
Les seuls problèmes étaient donc maintenant de trouver un porte-chars, d’organiser ses mouvements aller et retour ARRAS-SAUMUR, de financer le carburant de ce gouffre, enfin de former un pilote occasionnel pour les petits déplacements du TD.
Grâce aux relations sympathiques des Services Techniques avec l’Etablissement du Matériel de Lille, le porte-chars fut vite trouvé. La coopération efficace et la grande expérience du Chef d’Escadrons BOUQUIN, chef des Services Administratifs, très pointilleux sur les crédits (quelle bénédiction et quelle sérénité pour un Chef de Corps d’avoir sous ses ordres un tel Chef SA !...), permit de régler rapidement la partie financière. La formation du pilote fut facilitée par la présence à SAUMUR en début mai du 2ème Escadron, détaché au profit du Cours des Capitaines : le Sous-Officier d’Echelon reçut sur place la formation ad hoc et les multiples recommandations et conseils du Colonel AUBRY qui commençait un peu à regretter de s’être laissé convaincre par fraternité d’armes.
Le TD arriva à ARRAS le 13 mai. En quelques heures, l’Atelier Régimentaire transforma un char anonyme en char BIZERTE du 2ème Escadron du 7ème RCA, portant également l’insigne de la 3ème D.I.A. Pourquoi BIZERTE ? Parce que c’était le nom du char que pilotait l’ancien qui allait être décoré de la Légion d’Honneur. L’engin était complet, sauf les munitions évidemment, et en parfait état de marche.
Le dimanche 16 mai, le Général de LLAMBY, commandant la 2ème Région Militaire, représentant également le Ministre de la Défense, fit l’honneur au régiment de présider la prise d’armes. Des autorités civiles et militaires locales étaient également présentes. De nombreux anciens du 7ème RCA, pour la plupart béret vert sur la tête, toujours fidèles à ces réunions, étaient parfois venus de loin et il fallut ruser pour les empécher de se promener dans la citadelle avant la cérémonie et particulièrement derrière l’arsenal où était garé le TD. Il était indispensable que tout étranger au 7ème Chasseurs ne puisse découvrir la présence de l’engin avant le prise d’armes.
En l’absence du Commandant en Second, le Lieutenant-Colonel DURIEUX, en stage d’information des futurs chefs de corps, les troupes étaient aux ordres du Chef d’Escadrons BOUQUIN, dont la poitrine décorée de la Légion d’Honneur et de la Médaille Militaire faisait impression. Sur les rangs, on trouvait, à pied, le 4ème Escadron d’instruction avec toutes ses recrues et, en blindés, le 2ème Escadron.
A l’issue de l’allocution aux jeunes recrues au cours de laquelle le Chef de Corps retraça l’histoire du 7ème RCA et cita comme modèle de patriotisme son action au cours de la 2ème guerre mondiale, les deux étendards furent appelés. L’étendard du 7ème RCA était porté par le Lieutenant PIOTRE avec la garde réglementaire en tenue complète de 1942.
Nous n’avions pu obtenir la musique militaire régionale pour la prise d’armes et, comme chacun sait, la fanfare du régiment ne pouvait jouer la Marseillaise : et bien, qu’à cela ne tienne, nous l’avons eu quand même notre Marseillaise...chantée d’un seul cœur par tout le régiment sous la baguette précise et efficace du Chef d’Escadrons SUCHET, directeur de l’Instruction. Quand on pense que vingt ans plus tard, notre hymne national sera sifflé sur un stade : aucun de nos jeunes n’aurait eu cette idée lamentable !
Eût lieu alors la remise des fourragères par les autorités aux premiers des pelotons d’instruction et par les anciens du 7ème RCA et les cadres du régiment pour les autres.
Ensuite, le Cavalier de 1ère Classe SANTACREU, ancien Chasseur d’Afrique, pilote du TD BIZERTE pendant la campagne de 1945, fut fait Chevalier de la Légion d’Honneur par son ancien chef de char au 2ème Escadron du 7ème RCA, le Chef d’Escadrons (er) COURTOIS.
Le défilé qui suivit se déroula en deux temps. D’abord, les troupes à pied, sous les ordres du Chef d’Escadrons BOUQUIN , défilèrent de façon parfaite derrière l’Etendard du 7ème Chasseurs, en chantant d’une seule voix "Les Africains". Le chant ne cessa que lorsque les derniers rangs atteignirent la Porte Royale.
Il y eut alors une période de silence, interrompue subitement par le grondement d’un puissant moteur dont le bruit, bien différent du ronronnement des moteurs d’A.M.L., se répercutait sur la façade de la Porte Dauphine. Les anciens du 7ème RCA, qui avaient repris leurs conversations, les interrompirent soudain et tendirent l’oreille. L’un d’eux s’exprima aussitôt : "Mais on dirait le moteur du..." , phrase restée sans suite tant il craignait d’avoir une hallucination.
C’est alors qu’aux accents de la Fanfare dirigée par notre Trompette-Major, l’Adjudant-Chef DJELDLI, déboucha de l’Arsenal l’A.M.L. du Capitaine TELLE, commandant le défilé blindé, suivi du TD BIZERTE sur lequel se trouvait l’Etendard du 7ème RCA, encadré d’A.M.L. paraîssant toutes petites à coté de cet imposant engin.
Le doute des anciens fit place à la certitude et à l’émotion. Celle-ci fut à son comble quand le défilé arriva à la hauteur des spectateurs : l’on entendit alors le Cavalier SANTACREU dire entre deux sanglots : "Mais, c’est mon char.... c’est le BIZERTE.... Je rêve ....Ce n’est pas possible !...."
Comme à la fin du défilé des blindés, le TD BIZERTE revenait se placer face aux spectateurs, il se précipita vers l’engin pour le caresser, presque l’embrasser, en répétant : "C’est mon char...c’est mon char ! Merci au 7ème Chasseurs, C’est formidable ! " C’était pour tous les participants un spectacle très émouvant !
Inutile de dire que le reste de la journée fut fertile en évocations des campagnes d’Italie et de France de 1944. Journée qui est restée gravée dans la mémoire des anciens Chasseurs d’Afrique présents, bien sûr, mais aussi dans celle de tous les organisateurs, acteurs et spectateurs de cette prise d’armes. Ce jour-là, au rendez-vous de la Marquise, il y avait le 7ème Chasseurs d’Afrique et aussi le 7ème Chasseurs !